Héros
Hiroyasu Sachisu
◈ Dim 13 Nov 2016 - 23:45
Magie ◈ Magie des ombres Rothya ignore jusqu’à l’existence de son pouvoir. Sa magie, pour l’instant, ne lui sert à rien, sinon à lui faire renoncer à la paix de l’esprit. Les ombres la cernent et murmurent dans son dos, elle redoute d’y voir surgir les fantômes de son passé. Compétences, forces & faiblesses > Arts du spectacle (Métier engagé : Ancienne Courtisane) - Danse (avancé) = Rothya connaît les danses Ysei et aurait pu, si elle avait continué d'apprendre, pousser son apprentissage. Hélas, sa jeunesse et cette fleur arrachée trop tôt à son pays l'empêchent de pratiquer quotidiennement ces dernières et d'entraîner son corps aux exercices si codifiés. - Chant (intermédiaire) = Si elle ne possède pas la maîtrise parfaite de sa voix, c'est parce qu'elle ne le pratique plus comme elle aurait pu jadis le faire. Elle est pourtant un rossignol à la voix fragile et vacillante qui mesure les notes avec justesse. - Composition, oraison (jouer des rimes, tournures de phrases : intermédiaire) = Rothya eut appris la poésie durant un long temps, pour ne devenir point qu'une simple courtisane mais une compagne de charme connaissant l'art de la conversation. > Compétences générales - Linguistique : Ysei, maître / Alsvard, intermédiaire / Kaerd, expert = L'Ysei est sa langue de naissance et elle le parle avec aisance, tout comme le kaerd imposé au monde. La langue d'Alsvard reste néanmoins balbutiante et difficile. - Lecture & écriture (expert) = Rothya manie la plume par besoin et par essence, ayant été formée à devenir une femme avec qui est agréable de converser, tout comme de passer ses nuits. - Charme (expert) = Car elle fut belle de nuit, la douce Rothya sait plaire, attiser les désirs et les entretenir. ◈ Forces Rothya est une jeune femme courageuse et déterminée. Elle a pleinement conscience du fait qu’il ne sert de rien de subir les événements sans réagir et que l’avenir appartient à quiconque trace sa propre voie. Comédienne habile, danseuse et chanteuse talentueuse, Rothya sait mettre en avant ses talents et ses charmes, et peut promettre une nuit d’ivresse des sens à quiconque y est sensible. ◈ Faiblesses Rothya n’a jamais su s’endurcir, ni physiquement ni moralement, elle reste une frêle brindille tremblant sous la fureur des tempêtes, priant pour ne pas céder. Elle connaît bien des manières de charmer les sens et les esprits, mais est bien incapable de se défendre l’arme à la main. La trahison, le mensonge et l’hypocrisie la blessent. Elle est une jeune fille fleur bleue, malgré les tourments de l’existence, et elle serait encore capable de croire à la bonté, même mensongère d’autrui. Physique Rothya est une jeune femme gracile au physique singulier, associant un visage de porcelaine hérité de sa mère inoëe, et une fabuleuse chevelure d’un blond pâle hérité de son père vreën. Elle sait se mouvoir avec grâce, galvaniser les regards dans une danse envoutante et lascive ou s'éclipser discrètement en rasant les murs lorsqu'elle estime que sa présence n'est pas souhaitée. Par précaution, Rothya adopte bien souvent des manières effacées qu’accentue son regard. Ses paupières aux longs cils maquillés ont tôt fait de se clore et de masquer les grands yeux en amande aux iris d’un vert pale, de la jeune femme. Il est des pensées mêmes qu’il vaut mieux camoufler. Formatée par son éducation, Rothya garde la tête haute et un maintien impeccable, renonçant très rarement à plaquer sur ses lèvres un sourire mensonger. Il est rare de la prendre à défaut, mais lorsque les émotions la submergent, elle n'est plus qu'une frêle enfant anéantie, le corps secoué de sanglot. Ses habits, lorsqu’elle est vêtue à la mode inoëe, sont de longues robes ou kimonos aux manches amples et mouvantes. Si le choix lui en est donné, elle préférera les étoffes fabuleuses et les bijoux innombrables. Elle n'estime en vérité que peu l'argent, mais si d'autres sont assez sots pour se laisser tourner la tête par son déhanché ou par la richesse de sa parure, alors c'est une occasion de tirer son épingle du jeu à ne pas manquer. Caractère Les aléas de l'existence ont forgé Rothya, la conformant dans le triste rôle d'un animal traqué. Toujours aux aguets, elle est une ombre ou la force vive d'une biche fuyant devant les loups. Si la situation le permet raisonnablement, elle laissera toujours à chacun le bénéfice du doute. Malgré ses tourments, elle est un hymne à la vie qui deviendra familière si on se donne la peine de la fredonner du bout des lèvres. D'âme noble et courageuse, Rothya n'est toutefois réservée qu'à dessein. Elle préfère rester dans l’ombre qu’attirer une attention malvenue. Prendre de la distance pour analyser chaque situation lui vient plus naturellement que de foncer tête baissée. Elle s’interdit parfois de trop s’interroger, de peur de sombrer dans la paranoïa, de se torturer l'esprit en se perdant dans les dédales du passé. Rothya est terrifiée à l'idée de vivre hantée par les regrets. Même si elle tend à avoir plutôt bon fond, les revers du passé ont terni la gentillesse naturelle de la jeune fille d'antan. Rothya, poussée dans ses retranchements, tend à se montrer égoïste et envieuse, refusant difficilement que des faveurs accordées à d'autres lui soient refusées. La jeune femme garde une haute estime d'elle-même, forgée par les attentions conjointes de toutes les femmes à avoir compté pour elle et s'être souciée de son sort. S'il lui fallait revivre le passé... Elle souhaiterait que l'épouse du général et non Sora ait partagé l'étreinte mortelle d'un certain protégé du shogun. Inventaire Rothya a tout laissé derrière elle sinon un ruban écarlate marqué d’un charme argenté invoquant une bête du fond des âges et du bout du monde, un talisman d’argent supposé tenir à distance les mauvais esprits. Il n’a pas porté chance à la dernière personne l’ayant porté, mais Rothya ne s’en déferait pour rien au monde. Elle le dissimule tantôt parmi d’autres, dans sa chevelure ou en bracelet ou en collier, le plus souvent à l’abri des regards. Elle possède d’épais manteaux de fourrure de l’Alsvard, tous un peu trop grand pour elle, et un petit peigne en bois ouvragé orné d’une perle, offert par un prince de Kaerdum. Histoire Ma mère… Maman… Je me souviens qu’elle aimait énormément mon père. Ils m’aimaient. Je les aimais. Et cela me rend d’autant plus impossible de les haïr, même si mon coeur saigne quand ma mémoire les effleure. J’ai oublié jusqu’à leurs noms, si tant est que je les ai jamais sus. Mon père venait d’Algar, un émissaire aventureux, se moquant de s’attirer l’ire de son royaume ou de l’empire d’Ysino en courtisant l’une de ses dames. L’affaire avait été tue et j’avais été cachée. Je n’avais pour autant manqué de rien, durant des années, protégée par l’attention constante de ma nourrice et l’amour de ma mère, qui refusait d’entendre les requêtes de mon algaréen de père, lequel lui réclamait sans cesse le droit de m’emmener loin d’Ysino. Algar était plus souple pour une enfant de sang-mêlé, et il pourrait me reconnaître comme sienne. Je ne comprenais pas ce que tout cela impliquait, mais j’avais peur, car ma nourrice disait que j’étais trop jeune pour une telle traversée. Cette frayeur m’a suivi des années durant, même lorsque la raison a su l’atténuer. J’ai toujours une certaine appréhension, lorsque je monte sur un bateau. Ma vie pouvait-elle être fauchée, sans avertissement et sans appel, pour avoir simplement posé le pied sur le bastingage de bois ? ~°~ Ma mère ne vivait pas avec nous, mais elle venait me voir si souvent que c’était tout comme. On me disait souvent de me taire, de me cacher, de me faire “comme une toute petite souris” et j’y étais habituée. Mais jamais encore on ne m’avait dit de partir. Maman pleurait. Les larmes traçant de hideux sillons comme des lignes d’encre sur ses joues pâles. Comme si son maquillage avait cédé en même temps que son masque d’impassibilité avait volé en éclat. Elle ne me donna aucune explication. Une force implacable nous séparait, un maelstrom d’émotions nous ravageait, et la douleur vibrante hante encore ma mémoire. Lorsque je tremble, je me dis que rien ne saurait être pire que cette souffrance et j’avance, comme si chaque pas en avant pouvait m’éloigner un peu plus de ce passé révolu et en atténuer l’écho. On me plaça dans une famille aimante, et je dois aux Sachisu des années de quiétude et de bonheur, ce luxe inouï que l’or maternel n’avait pu acheter. Les Sachisu étaient d’honnêtes tisserands, des artisans, dont les étoffes se vendaient parfois dans toute l’île, au gré des caprices des dames. D’abord effrayée par cette maison bruyante et pleine de vie, ce fut Sora qui m’amadoua. Deuxième fille du couple, de deux ans mon aînée, elle était habile de ses mains et de ses mots, ne manquait jamais de me prendre à défaut dans mes raisonnements, me poussait à sortir de ma cachette, à me mêler à leurs jeux et à leurs leçons. J’avais sept ans à peine et je devins son ombre. Une ombre rayonnante, aux yeux comme un matin de printemps et à la chevelure étincelante comme un soleil timide, là où les prunelles de Sora avaient le brun tendre des bois aux essences rares, et ses cheveux la teinte sombre de l’encre. J’appris les chiffres et les lettres, la poésie et la danse. Les Sachisu plaçaient de grands espoirs dans leur petite entreprise. Si la fortune continuait à leur sourire, ils pourraient offrir à leur fille aînée un mariage plus qu’honnête. Leur aîné quant à lui, de quatre ans mon aîné, hériterait des métiers à tisser et des secrets bien gardés de leur art. J’aimais cette existence paisible. Je n’avais plus à me cacher. Mon apparence étonnait, et j’avais pris l’habitude de répondre que le dieu de la chance m’avait placé là. Et personne ne posait davantage de questions, car deviser du dessein d’une telle divinité ne pouvait qu’apporter le malheur. Il faudra bien qu’il t’aime, le dieu de la chance, ma pauvre enfant, car les ancêtres des Vreëns ne veillent pas sur leurs enfants comme les nôtres. Ainsi parlait ma nourrice. Mais en ce temps-là, j’aurais gagé que les ancêtres mêmes des Sachisu veillaient sur mes jours, car je n’en chéris jamais d’autres autant que ceux-ci. ~°~ La moitié de la cité d’Idara brûla. Un incendie dévastateur au souffle brûlant, charriant dans l’air une odeur de cendres, tenace et étouffante. Le précieux atelier des Sachisu disparut sous l’avidité des flammes, et seuls quelques précieux rouleaux d’étoffe furent sauvés à temps. On reconstruisit à la hâte des logements de fortune, on balaya les cendres pour ériger de nouvelles fondations. On vendit une misère les trésors rescapés de l’incendie, mais rapidement, cela ne suffit plus pour nourrir cinq enfants. Le riz même devenait cher. Le couple Sachisu se déchira. Il y eut des cris et des larmes et nous nous retrouvâmes, moi et Sora, à marcher derrière un proche cousin vers l’autre moitié de la ville, celle qui n’avait pas pris feu. Je ne savais pas alors ce qui nous attendait. J’avais treize ans. Sora serrait ma main dans la sienne. Elle m’avait dit de ne pas pleurer. Je n’avais plus de larmes à verser depuis l’incendie, alors je la suivais les yeux secs. ~°~ Je pleurai. Et entre deux sanglots, je lui disais que j’étais désolée, que je ne voulais pas pleurer, mais que je ne pouvais pas m’en empêcher. Et Sora ne disait rien, elle me serrait contre elle, masquant mon corps nu entre les pans de son kimono. J’avais compris que trop tard que c’était nous qu’on marchandait. Le cousin des Sachisu n’était pas satisfait de la somme qu’on proposait pour moi. J’étais trop jeune, trop différente. Et on m’avait mise à nue, pour prouver que j’avais les formes d’une femme et j’avais frémi, sous le regard scrutateur de la maquerelle. Et Sora avait fondu sur moi, mon oiseau salvateur aux ailes de soie, pour arracher à la vue ma nudité. Mais la blessure était faite, et sa cicatrice me hanterait une existence durant. Elle disait que nous devions être fortes, que c’était une épreuve que les dieux nous infligeaient, que les ancêtres nous regardaient. Je lui avais répondu que mes ancêtres m’avaient oublié. ~°~ Le palais des désirs était un établissement réputé pour ses filles. C’était un palais des désirs et non des plaisirs comme on en trouvait tant. Au palais des désirs, on trouvait le plaisir, assurément, mais on suscitait le désir, ce qui était infiniment plus précieux et, à en croire le nombre d’habitués de l’établissement, cette réputation n’était peut-être pas volée. Sora évoluait dans cet univers avec une grâce inégalée et aussi faux que soit son sourire, elle en restait éblouissante. J’évitais de la regarder lorsqu’elle travaillait. Les regards que les hommes posaient sur elle m’effrayaient. Ils ne s’intéressaient pas à moi. J’avais d’abord cru que c’était une chance, mais les autres filles me méprisaient et me reléguaient à toutes les tâches ingrates. Ce fut Sora qui me sauva. Elle était l’une des courtisanes les plus prisées du palais. Elle touchait une part de ce qu’elle gagnait, assez pour espérer racheter sa liberté, mais elle n’en avait cure, et en dépensa une grande partie pour que je puisse manger à ma faim et me vêtir. Elle m’avait tendu la robe de soie avec des gestes tremblants. Elle ne pourrait pas me sauver si je ne me pliais pas aux exigences du palais. Grand-mère - c’était ainsi qu’on appelait la maquerelle - avait parlé de me vendre à un établissement moins coté. Que j’ai quelque talent pour la danse et la poésie ne lui servait de rien si je ne plaisais pas aux hommes du palais. ~°~ Et Sora m’entraînait dans la grande salle, me poussait vers des hommes auxquels je n’adressais que des regards craintifs. Je me retrouvais muette, incapable de chanter ou de même de parler, tout juste capable d’esquisser quelques pas de danse ou de disparaître derrière un éventail pour y camoufler mes frayeurs. Sora disparaissait généralement au bras d’un homme, notable émérite ou général en visite, et lorsqu’elle partait vers les chambres de l’étage, on m’indiquait généralement de retourner au ménage, récurer sols et vêtements. Au fur et à mesure, je compris qu’on ne me gardait que pour ne pas froisser Sora, car son succès grandissant exigeait qu’on me protégeât parce que je lui étais chère. Je n’étais qu’un poids mort pour elle et j’en souffrais. J’aurais aimé pouvoir me débrouiller par moi-même, j’aurais voulu l’aider. Je me fis violence, plaquai sur mes lèvres tremblantes le même sourire faux et lisse qu’arborait Sora, me répétant que ce n’était qu’un jeu, un mensonge qui devait glisser sur moi et ne pas m’affecter. Je joignis mes pas à ceux de Sora, avec d’autant de facilités qu’elle tenait les autres filles à distance, désireuse ni de partager son succès, ni de laisser profiter de son aura celles qui m’avaient jadis molestée, avant que Grand-mère ne l’interdise. Nos efforts combinés accrurent son succès, nous restions plus tard dans la salle, profitions de notre public et Sora disparaissait au bras d’un homme qu’elle choisissait parfois. Quant à moi, je me défilai dès qu’elle n’était plus là. J’étais un mystère, une fleur qui ne s’épanouissait que dans la présence de Sora. ~°~ Des suites de l’incendie, des émeutes s’étaient déclenchées jusqu’à déclencher une guerre de voisinage avec le shogun voisin, qui, sous un prétexte fallacieux, avait voulu s’emparer de nos terres en un moment de faiblesse. Nos valeureux généraux l’avaient mis en péril, et avaient décidé de se détendre ainsi que leurs hommes. Idara se reconstruisait lentement et comptait bien moins de bordels qu’auparavant, une partie de la population ayant décidé de fuir vers d’autres cités qui n’auraient pas subi la rage des éléments. Et l’un de ses généraux, Ashihei, avait débarqué au palais des désirs avec ses hommes. Grand-mère les avait accueillis avec suspicion, avant de comprendre que le shogun payait pour le plaisir de ses hommes et de les laisser entrer. J'avais suivi, comme bien d'autres nuits, les instructions de Sora, joignant mes pas aux siens dans une danse suggestive. Je savais bien peu des hommes et de leurs appétits sinon ce qu'elle m'avait enseigné, et mon aînée disait que cela n'avait pas grande importance : il nous fallait impressionner les esprits, nous n'étions plus Sora et Hiroe (comme ils leur avaient plus de me renommer) nous étions deux créatures fabuleuses, à la fois offertes et mystérieuses, et aucun des clients du palais des désirs n'avait besoin de savoir qu'aucun homme ne m'avait jamais touché. L'occasion s'était présentée, plusieurs fois, mais Sora avait toujours déjoué leurs intentions, et elle n'avait aucun mal à capturer l'attention de ceux qui laissaient trainer sur moi un regard, une seconde de trop. Ce fut aussi le cas du général Ashihei, un homme à la forte poigne et à la voix forte, aux traits rudes, mais captivants, et aux yeux perçants. Comme beaucoup alors, il m'effrayait, et il dut s'en rendre compte, car il riait aux éclats lorsque Sora le détourna de moi pour disparaître avec lui. J'étais restée une seconde de trop à contempler le vide laissé par l'absence de ma sœur, cette nuit-là, car une autre des filles me poussa vers l'arrière-salle. ~°~ Ashihei revint, une autre nuit. Je le sus, car sa troupe était plus bruyante que les clients ordinaires. Il se moquait bien d'être discret. Ils se seraient contentés d'un bordel de moindre envergure, s'il en était resté assez en ville et si le shogun n'avait pas payé pour leurs frasques. Sora était déjà montée et on ne me permettait pas d'aller dans la grande salle en son absence. C'est alors qu'une des filles vint me chercher. Le général me réclamait, me lâcha-t-elle avec stupeur, avant de me préciser qu'il voulait simplement vérifier si ma toison du bas était assortie ou non à celle du haut. Ses paroles me firent l'effet d'une douche glacée, et je me levai d'un pas raide, laissant mes travaux d'aiguille – une taie d'oreiller avant craqué et je la reprisai de mon mieux, la réparation ne devait pas se voir – pour gagner la grande salle. J'avançai d'un pas mécanique, la terreur familière qui me hantait avait anéanti toute autre émotion possible. Je vins à la hauteur du général, nos regards se cherchèrent et se croisèrent. Je lui offris mon plus beau sourire et posai délicatement ma main sur son poignet, comme j'avais vu Sora le faire tant de fois. Me penchant vers lui, je lui glissai à l'oreille qu'il n'appartenait qu'à lui de vérifier, car aucun des hommes venus en ces lieux n'avait jamais osé. Ces mots n'étaient pas les miens. Ils étaient ceux d'Hiroe. Hiroe, à la chevelure de flamme rehaussée de rubans rouges, aux yeux peints et à la robe vaporeuse. Ramper dans l'ombre de Sora ne me sauverait pas. Je ne ferai qu'entretenir un mensonge qui nous blesserait toutes les deux. Et s'il me fallait choisir quels joyaux revêtir entre les murs de ma prison, alors j'avais choisi. Plus tard, sous les quolibets moqueurs des filles je reconnaîtrais qu'Ashihei était furieusement séduisant et que d'autres, moins protégées, auraient connu des amants plus repoussants. Mais Sora m'avait toujours traitée comme une princesse, même lorsque notre malédiction commune et l'indifférence de mes parents m'avaient ôté tout titre de noblesse. Je pense qu'elle aurait aimé me préserver du palais des plaisirs, et me rendre ma liberté. Ashihei se leva, avec une fluidité étonnante eut égard au nombre de verres vides que comptait la table la plus proche. Les yeux brillants, il déclama : « Mes amis, je vous salue, j'ai une enquête à mener de la plus haute importance. » Ses hommes le huèrent en riant, tandis qu'il m'arracha au sol sans effort. En cet instant, je priai pour qu'il m'emportât loin, si loin d'Ysino que le souvenir de cette vie ne me revint jamais. Je croisai le regard de Sora qui me fixait les yeux ronds, et je compris que Grand-mère l'avait arraché des bras d'un client pour qu'elle puisse sauver la situation une fois que j'aurais déçu Ashihei. ~°~ La déception fut partagée. Ashihei était expérimenté, mais il avait trop bu et peut-être trop attendu. J’étais effrayée, trop désireuse de bien faire sans même savoir ce que cela pouvait bien signifier. Nous nous rattrapâmes au matin, et, à défaut de connaître la félicité, son étreinte me laissa un souvenir agréable et me hanta autant qu’elle me libéra. Les hommes m’effrayaient moins. J’avais accepté mon rang et ma situation. Je n’étais qu’une catin, dans une maison des plaisirs huppés d’Idara, assez réputée toutefois pour laisser entendre que ses clients pouvaient apprécier les autres talents de ses dames. Car nous n’étions pas des geishas, et si Grand-mère nous imposait un semblant de grâce et d’érudition, beaucoup de nos clients ne désiraient rien de plus que de nous voir écarter les jambes. Ma peur s’effaça, remplacée par la résignation. Je n’aimais pas ces hommes, même si je m’efforçais d’agrémenter leurs nuits. Parfois, je repensais à Ashihei. Sora disait qu’il était courant de soupirer après ce que l’on ne pouvait avoir, et que je l’aurais bien vite oublié s’il était revenu. ~°~ Sora s’était trompée. Cette évidence me choqua tant elle me connaissait. Ashihei revint, et je me jetai à son cou comme en terrain conquis. Il laissa glisser ses mains sur mon corps et je me dérobai. Les autres filles avaient cessé de me regarder de haut depuis que je remplissais ma part du travail et je ne désirais pas me donner en spectacle. Et pourtant, mon coeur battait la chamade à chaque fois que mon regard croisait celui d’Ashihei. J’avais fini sur les genoux d’un de ses hommes, à réciter des poèmes dont j’inversais tant les strophes qu’ils n’avaient plus ni queue ni tête. Les hommes riaient, je refusai le vin qu’on me proposait, en ne le buvant que du bout des lèvres. Et il me tournait la tête, tant et tant que je perdais le sens de ce que je disais. Je me souviens qu’un des hommes allait m’emporter vers l’étage, et je le suivais en riant trop fort, en me prenant les pieds dans les tapis au sol, trébuchant, me cognant dans une table. Et je me souviens d’Ashihei m’arrachant du sol, protestant que ses hommes avaient bien assez de choix, mais que Hiroe était à lui. À lui. Ces mots m’arrachèrent une once de lucidité. J’avais déjà bien trop bu pour pouvoir dégriser. Je l’honorai du mieux que je le pus, mais il m’interrompit, capturant mes mains sans effort pour mener la danse à sa manière. Ashihei me donna du plaisir et m’embrassa, quand bien même je me dérobai, disant qu’après tout, ce n’était pas lui payait, mais le shogun et je pouvais bien être sa femme. ~°~ Lorsque je racontai cela à Sora, elle m’attira à l’écart et murmura à mon oreille. À l’en croire, la fortune nous souriait enfin. Ashihei, de ce qu’elle avait appris d’un de ses hommes, n’était pas bien né. Ce n’était qu’un fils de fermier, engagé dans l’armée du shogun contre la promesse d’une solde régulière. Guerrier talentueux, il s’était forgé une réputation de la pointe de son katana et était parvenu à s’enfuir, quand bien même il était captif de l’armée rivale. Il avait ouvert les grandes portes du fort, permettant à ses alliés de remporter une victoire facile. C’était cette prouesse qui lui avait valu le rang de général et les largesses du shogun pour lui et ses hommes. Il était riche, mais il n’était personne : s’il rachetait ma liberté et m’épousait, personne n’y trouverait à redire. Le rouge me monta aux joues. Sora me serra plus fort contre elle et une rondeur inhabituelle m’interpella. Elle surprit ma crispation et me chuchota qu’elle attendait un enfant. Elle avait espoir de parvenir à se libérer de Grand-mère avant qu’il naisse. Ainsi, nous pourrions commencer à vivre. Sora se moquait bien de continuer à faire commerce de ses charmes, mais elle voulait que son enfant connaisse une existence en dehors des murs du palais des désirs. ~°~ Ashihei revint maintes fois, jusqu’à cette nuit singulière où il parut seul et sobre. Il m’entraîna dans la chambre sans s’attarder dans la grande salle et ne me toucha pas. Il m’expliqua qu’une bataille décisive allait se jouer dans quelques jours à peine. Il pourrait ne pas revenir. Mais si les dieux le voulaient, il reviendrait, et m’épouserait. Je serais la mère de ses enfants, si je le désirais. Il avait prononcé ces mots d’une voix hésitante. J’avais baissé les yeux et répondu que j’agirais ainsi qu’il le souhaiterait. « Non, Hiroe, je t’en prie. » Il avait cueilli mon menton d’une main et m’avait obligé à croiser son regard. Je ne voulais pas croire à ses paroles, j’avais peur d’être déçue, encore. « Je t’épouserai si tu veux de moi. » Et il m’avait embrassé, avant de disparaître dans la nuit, et de me laisser aussi désemparée que ces draps que nous n’avions pas défaits, sans savoir si je devais me sentir honorée ou vexée qu’il ait renoncé à mes charmes cette nuit-là. Le sommeil m’avait fui. ~°~ Les jours qui suivirent, j’eus l’impression de n’être qu’une ombre, un fantôme de moi-même errant dans des couloirs familiers, prisonniers de l’attente. Je divertis bien des hommes, de mille et une manières, d’un chant ou d’une caresse, d’un poème ou d’un fantasme. Mais ce n’était pas moi, mon âme vengeresse chevauchait aux côtés du général Ashihei. J’avais une revanche à prendre contre les lois de l’existence, et je priai le dieu de la chance de m’exaucer. Sans avoir jamais pu concurrencer la réputation élogieuse de Sora, j’avais mes propres habitués, et bien moins de retenue dans le choix de mes clients. Un soir, j’attirai l’attention de Shun, l’un des notables les plus en vue de la cité, et l’un des protégés du Shogun. Il avait mauvaise réputation au palais des désirs. On lui reprochait d’être trop exigeant, jamais satisfait, et plus d’une fois, Grand-mère lui avait claqué la porte au nez, malgré son argent. Il avait l’oeil acéré des rapaces, un visage fin et anguleux, souligné par le flot d’une chevelure d’un noir d’encre, telle une nuit sans astre. Je pouvais concevoir qu’une femme put prendre plaisir à y tracer des constellations de ses doigts et je le lui dis. Il eut un sourire carnassier et cela m’amusa grandement. Ses yeux étaient des abîmes, non pour se noyer en pâmoison, mais pour se perdre, et il y avait une grâce féroce dans ses gestes. Il n’avait pas la force brute d’Ashihei, mais quelque chose, dans l’indécente élégance de sa posture, laissait à penser qu’il avait le bras long, et que quiconque se rangeait derrière lui se verrait préserver de tous les maux du monde. Il m’avait invité d’un geste et je m’étais assise sur l’accoudoir de son fauteur, laissant mes jambes nues frôler les siennes. Nous parlions d’astres et de cieux, de constellations et des mille miroirs du monde que maniaient les dieux. Et une main délicate vint me pincer l’arrière du coude, une brève seconde, mais plus qu’assez pour être plus qu’une coïncidence. Un ordre de Grand-mère. « Je suis navré, mon seigneur, mais Hiroe se doit de vous fausser compagnie. Les engagements de la maison doivent être tenus, quel que soit le plaisir que nous pouvons éprouver à égayer votre douce soirée. » Disant ces mots, Sora s’était fendue de son plus beau sourire tandis que je m’éloignais, raide comme un piquet. Je n’avais pas l’aisance de ma soeur, et mon physique détonnait toujours autant dans les paysages d’ivoire et d’ébènes d’Ysino, mais j’estimais avoir fait mes preuves et j’enrageais, qu’on veuille de toute force me tenir à distance dès lors qu’un homme d’importance s’attardait un peu trop longtemps en ma compagnie. Pour rendre la farce plus crédible, on me demanda d’agrémenter la nuit d’un marchand de passage et je m’y employai au mieux, cachant mille griefs sous un sourire factice. ~°~ Shun ne profita pas longtemps de la compagnie de ma soeur. Grand-mère vint me tirer du sommeil au petit matin, accompagnée de deux autres des filles, la mine grave, le visage décomposé. Tôt dans la soirée, Sora s’était plaint de terribles douleurs au ventre, et, à l’orée de la nuit, alors que les dieux des ombres et des songes hantaient la place, elle avait donné naissance à un enfant mort-né, horrible et malformé. Elle avait refusé que je voie cela, craignant que je ne supporte pas la vue d’un tel monstre. Et elle s’était éteinte sans un mot, fauchée par l’épuisement du travail. Sora était épuisée, mais elle avait peu saigné, et rien ne laissait présager que son coeur s’arrêterait, c’était pour cela que personne ne m’avait prévenu, me précisa l’une des filles qui l’avait veillée. Elle-même tremblait, anéantie par les événements. Des larmes intarissables avaient jailli de mes yeux et pourtant, cette candide manifestation était à des lieues de la détresse qui me transperçait l’âme. Même après l’avoir vue, allongée sur un lit aux draps blancs, paré d’un kimono fabuleux d’or et d’écarlate, l’expression si sereine dans son dernier sommeil, je ne pouvais croire à la mort de Sora. À aucun instant, je n’avais imaginé mon existence sans la sienne. J’étais un âne docile dont elle menait la bride, et si j’envisageais d’épouser Ashihei, c’était avant tout parce qu’elle l’avait évoqué la première et que sa suggestion avait rendu la chose possible. ~°~ Ashihei revint du combat sous les éloges de la foule. Ses hommes revinrent profiter de la générosité du shogun au palais des désirs, mais pas lui, on ne tarda pas à m’en apprendre la raison : en dépit des convenances, mon héros s’était vu anoblir par le shogun, et ce dernier lui avait donné la main de sa dernière-née. Avec quatre fils aînés et deux soeurs aînées, il ne prenait pas trop de risque, Ashihei n’hériterait pas de son titre, mais la récompense n’en était pas moins des plus prestigieuses. Le genre d’opportunité qui ne se refusait pas, et sûrement pas pour le joli minois d’une catin étrangère. Je ne pleurai pas ce jour-là, j’avais déjà versé toutes les larmes de mon coeur pour le départ de Sora. Grand-mère vint me trouver et m’adressa des paroles de réconfort. Je ne devais pas me laisser abattre. Sora ne l’aurait pas voulu. Une fille comme moi devait comprendre que les hommes n’étaient pas dignes de paroles, sans quoi notre établissement aurait probablement fait faillite depuis longtemps… Elle me remit toutes les possessions de Sora, ainsi que ses économies. Si je poursuivais mes efforts, d’ici un an ou deux, je pourrais espérer racheter ma liberté et voler de mes propres ailes. Si elle m’avait tenu à l’écart des notables de la ville, c’était avant tout par crainte de vexer Ashihei, après tout, il avait l’oreille du shogun. Mais si je le voulais, je pouvais peut-être hâter mon départ en me trouvant un autre protecteur fortuné : Shun venait de paraître au palais des désirs et avait demandé après moi. Il était tôt encore, il faisait à peine nuit et je n’étais pas apprêtée. Je m’excusai de devoir me préparer et Grand-mère acquiesça, me suggérant de m’appliquer et me précisant que les autres filles sauraient l’occuper jusqu’à mon arrivée. ~°~ Shun. En d’autres circonstances, je me serais sûrement dépêchée. Au lieu de quoi, j’avais laissé mes doigts se perdre dans la petite malle qui contenait les affaires de Sora. Grand-mère ne m’avait pas légué ses habits. C’eut été stupide, j’étais bien plus grande que ma soeur, même si c’était toujours elle qui m’avait protégé. Dans la boîte, il y avait des bijoux précieux, un peu de poudre de maquillage, quelques foulards colorés et des rubans. J’essayai l’un des foulards et le remis à sa place. Sora aurait approuvé, mais les filles le verraient, et je ne voulais ni de leur mépris face à ma faiblesse, ni de leur hypocrisie pour railler ma douleur. Mes doigts s’arrêtèrent sur un ruban écarlate, dans lequel était plantée une minuscule broche d’argent, pas plus grosse que l’ongle. Un charme familial que se transmettaient les filles de sa lignée. De ce que nous avions déchiffré, enfants, il contenait une référence à quelque monstre du bout du monde, une prière implicite de se détourner de la famille Sachisu. Et, sous mes doigts, la douceur de l’étoffe céda le pas à l’âpreté du sang séché. ~°~ « Hiroe ? Qu’est-ce que tu fabriques ? -J’avais besoin du miroir, mentis-je. J’ai bientôt fini.. » Il y avait du sang partout dans la chambre qu’avait occupée Sora. Caché sous les tapis et les draperies. Nettoyés en toute hâte, mais le bois du parquet en avait bu, un peu. Un dernier souvenir du passage de Sora en cette pièce, j’en avais la certitude. Et tout prenait sens à présent. L’absence de cris déchirants malgré l’activité particulière des chambres. Le fait que nul ne m’ait appelé à ses côtés. La terreur dans les yeux de celles qui avaient préparé son corps. La facilité avec laquelle Grand-mère me prenait sous son elle, moi, la paria, et me confiait toute la fortune de Sora. Et le fait qu’aucune des filles ne se soit présentée pour distraire Shun, l’éternel insatisfait et le retenir entre les murs du palais des désirs. J’avais gagné du temps. Revêtu la plus complexe de mes parures, aux manches interminables et rubans innombrables. Mes gestes étaient fébriles, presque maladroits. Sora m’aidait pour cette robe-ci. En bas, Shun m’attendait. Une certitude glacée m’envahit. Il me tuerait. Et si je me dérobais… Mon existence deviendrait un enfer et Sora ne serait plus là pour me sauver. ~°~ J’avais fui. J’étais passée par le petit balcon de derrière, que l’on réservait au caprice de certains invités prestigieux. Je m’étais laissée pendre de l’autre côté, sans penser à la hauteur qui me séparait du sol avoisinant. La chute m’avait paru interminable et l’atterrissage des plus abrupts, déchirant la soie dans la boue, m’éraflant à travers l’étoffe trop fine, et serrant les dents pour ne pas crier sous la douleur qui me transperçait les os. J’avais fui, couru vers le port, comme si l’eau avait le pouvoir de me préserver de la folie des hommes. Je n’avais pas tardé à tomber dans les griffes des Shardas. Des marins sans vergogne, des marchands de seconde zone venus se perdre dans cette cité lointaine, attirés par la richesse des mythes pour s’apercevoir qu’Ysino avait subi son lot de guerres intestines et que l’île n’avait pas encore pu se remettre de ses peines. Ils connaissaient peu la cité, mais ils comprirent bien vite que je m’étais enfuie, et prirent les paris pour savoir si j’étais une jeune noble effarouchée ou une catin en fuite. L’un d’eux ne manqua pas de proposer qu’on me mène en ville et qu’on exige récompense pour m’avoir ramené au bercail. Je tombai à genou et les suppliait de m’emporter ailleurs, n’importe où, à n’importe quel prix. Je devins l’esclave sharda la plus consentante que ce monde eut connu, et les hommes qui se perdirent avec moi comprirent bien vite que je n’étais pas une jeune fille de bonne famille avide d’émotions fortes. ~°~ On m’enferma avec les marchandises et on me traita comme tel. Le capitaine avait vu ma venue à bord d’un mauvais oeil, et craché par dessus le bastingage en maugréant qu’il me débarquerait au premier port. Son navire n’avait rien d’un transporteur d’esclaves, ils apportaient la maladie, la vérole et les puces. Il redoutait à juste titre que ma présence échauffât l’esprit des hommes, et il ne s’y trompait pas. Je passai peu de nuits seule, en vérité, et l’on me vendit à l’issue de négociations fort brèves à un capitaine alsdern faisant voile vers l’autre bout du monde. De Radjyn à l’Alsvard. La tête me tournait à cette simple évocation. Je songeai à ma nourrice, et me demandai, si j’étais assez vieille alors pour ne pas succomber à l’appétit des mers et mourir sans avoir senti sous mes pieds la paix sereine que seule procure la terre ferme. Ambitions & Desseins Rothya aspire à survivre aux aléas du sort et à protéger les êtres qui lui sont chers. Si son passé regorge de questions sans réponse, elle les perçoit comme des coffres précieux et oubliés au fond d’un grenier. Bien sûr, il serait possible de les dépoussiérer et de les forcer, mais s’ils ont été oubliés là, c’est probablement qu’ils ne renferment aucun trésor. Seulement la cendre froide d’espoirs partis en fumée. Divers Reconnaissez-vous être âgé d'au moins 18 ans ? : oui Moultipass : Ok par Harden |